Saint-Pol-Roux


La Diane


À Léon Daudet.

Les premiers chants de coq, ce sont les grincements de la serrure et des gonds des logis qui d’eux-mêmes, la nuit achevée, s’ouvrent pour le départ des songes.

De ma fenêtre sur le carrefour des trois chemins, parfois, avant l’aube, j’assiste au défilé des fabuleuses théories qui s’épanouirent sous le chaume, et leur essence variée m’initie au magasin de féeries que devient, le sommeil durant, le crâne des villageois du voisinage : claires cavalcades et chevauchées sombres, tragédies et pochades, contes bleus et cauchemars.

 

— « Cocorico ! »

 

Voici passer des reines et des rois pareils à ceux des cartes à jouer, des anges vidant leurs joues de neige en des trompettes de soleil, des saints dorés sur tranche, des seigneurs en soie d’arc-en-ciel, des damoiselles de harpe sur des coursiers de mandoline, un paillasse de cirque, le petit Poucet, des moissons et des troupeaux de Terres promises, des galas de bonbons et de pâtisseries, des avalanches de papillons et d’abeilles, des cygnes, des faisans, des paons, des aigles, des aurores et des couchers de soleil ; voilà passer aussi des coups de poignards, des éclairs et des tonnerres, des bandes de voleurs, des batailles, des naufrages, des flammes de l’enfer, des dents de loup, des serres d’épervier, des cous de girafe, des trompes d’éléphant, des gueules de lion, des vautours et des tigres, des serpents et des caïmans, des requins et des baleines, des croquemitaines et des léviathans.

Tel ou tel songe, on peut en deviner la tête hospitalière.

Ces flammes de l’enfer, parmi lesquelles un diable vert brandit sa fourche, proviennent, à n’en pas douter, du taudis de ce terrassier qui bat sa femme et ses petits.

Cette baleine sort de dessous les cheveux blonds de ce marmot qui demain sera mousse, et ce naufrage de dessous les cheveux blancs de sa tremblante mère-grand.

Du seuil de la mendiante Catherine ruisselle un convoi de chariots pesants de sacs d’écus et de pierres précieuses.

Du cœur pensant des jeunes filles s’évaporent des jolis garçons frisés comme sur l’image où le prince de velours se fiance avec la bergère de bure.

De l’école des Sœurs s’acheminent les douze stations d’un chemin de la croix, des vitrines de médailles, des étalages de madones.

Du front de l’instituteur voyez s’ensauver cette distribution de prix et ce discours à M. le Ministre en tournée.

Du presbytère c’est l’essaim de belles filles nues des « Tentations de saint Antoine » qui s’envole, marries de leur échec auprès du vieux curé, qui bientôt va se métamorphoser en scarabée pour la petite messe du matin.

De chez la dévote part le trousseau radieux des Clefs du Paradis.

Une barque clandestine dévale de la guérite où s’oubliait à ronronner le douanier de garde sur la cale, barque dans laquelle rame, en redingote très moderne, couronne au chef, un prétendant au trône de France.

Cette prise de Malakoff jaillit de la demeure du garde champêtre.

D’où débagoulent ces barriques de vin et ces dames-jeannes d’alcool ? Eh pardi ! de la crèche où le vieil ivrogne cuve son salaire !

 

— « Cocorico ! »

 

Défilent encore, pêle-mêle d’un carnaval unique, des orgies de fleurs, un pensionnat de poupées, des nids d’oiseaux, des singes, des négrillons, des pyramides de blé, des collines de beurre, des trésors découverts, une grosse caisse et des tambours, des premières communions, des tirages au sort, une troupe de saltimbanques, une douzaine d’oncles d’Amérique, plusieurs châteaux en Espagne, des grottes merveilleuses, un sabbat de squelettes, des escouades de phallus, un navire attaqué par des corsaires, des pages d’histoire, une danse d’anthropophages, des pêches miraculeuses, des mers de glace, des colères de Vésuve, une collision de locomotives, des voyages aériens et sous-marins, un paradis terrestre, un déluge universel, le Juif errant, deux fins-du-monde et trois jugements derniers.

 

— « Cocorico ! »

 

Toute cette folle foire bariolée de la Chimère se hâte en tableaux de lanterne magique sur le linge étendu par l’aube et peu à peu se fond sous l’altière étoile du matin.

Dès lors les tons de la palette fantastique du sommeil retournent s’éparpiller à travers la Nature, qui derechef les absorbe et se les approprie. « Rien ne se perd, rien ne se crée. » La nuit, les couleurs de la vie s’effacent aux fins de s’utiliser aux abstractions du rêve ; le jour arrivé, elles reprennent leur office dans l’ordre des réalités, et le rouge de ces flammes infernales se restitue aux coquelicots, de même que les soies changeantes de cette cour impériale se travestissent en un pan de l’aurore qui jaillit, l’orgie de la métaphysique se réglementant dans les cadres et les classifications de la physique.

 

La cloche du réveil angélise l’espace.

 

Le village s’étire, bâille, surgit, s’habille et tend la main, qui vers l’aiguille, qui vers le fuseau, qui vers le battoir, qui vers la houlette, qui vers la férule, qui vers le calice, qui vers la bouteille, qui vers le pis de vache, qui vers la corde du puits, qui vers la pioche, qui vers la charrue, qui vers l’aviron, qui vers le gouvernail, qui vers l’aumône, qui vers le bâton de pèlerin, qui vers l’ombre suprême.

 

Alors, du soleil plein le carrefour, je descends m’asseoir sur la borne où ne put s’asseoir le Juif errant, et je cueille un bleuet qui fut peut-être l’œil joli de la blonde princesse à la robe de perles qui passa tout à l’heure en une apothéose de sourires.


La Rose et les épines du chemin, 1901

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