Saint-Pol-Roux

La Rose et les épines du chemin, 1901


Le Mystère du vent


À Henri Mazel.

Lorsque les désirs d’avenir où les regrets de souvenir s’éveillent dans une partie quelconque de ce crâne géant, le Globe, — le vent se lève.

 

L’espace est composé d’âmes éparses, en expectative ou bien en irrémédiable exil de la matière, dont la motion diverse inspire branches, voiles et nuées.

Théoriciennes soit du devenir soit du redevenir, ces âmes, passées ou gérondives, les unes à naître et les autres mortes terrestrement, attisent leur potentialité vers l’ancienne ou future joie de vivre, impersonnes en quête d’une valeur saisissable ; alors se ruent des chevauchées s’évertuant parmi des chocs où se déchirent et se cassent les os et la peau de leur ambition, gravissant les monts, inondant les vallées dans une vertigineuse impatience d’être.

C’est le vent qui passe.

Le spéculer fut toujours ma passion capitale.

Volontiers, si la nudité n’injuriait les sottes conventions, tout nu j’irais afin de laisser la subtile vague d’air mettre à la longue son paraphe sur ma vigilance ainsi que fait sur la falaise une obstinée vague de mer.

Néanmoins, comme dévêtu par un paroxysme d’attention (ou peut-être oubliè-je l’étoffe au point de lui valoir un instinct d’épiderme), me vient le soupçon que d’étranges clandestines sur moi déferlent.

Ces fantômes jaloux d’apparaître, je ne les vois pas à vrai dire, mais je les conjecture, pour bientôt les percevoir d’une perception qui, s’accentuant d’onde en onde, se traduit par une infinitésimale, puis appréciable sensation de lignes et de contours.

Serait-ce que le sens s’acclimate sur la cime de l’idée ? serait-ce que l’idée s’acclimate dans la plaine du sens ? Toujours est-il que mon être, agglomération de résistance opposée par mon Toucher servi de ses frères, s’initie, aveugle du vide, aux hiéroglyphes de l’assaut : initiation de la figure par successivement le point, la ligne, l’angle, la courbe...

Méticuleux labeur de performance, car, en sus d’une hâte obligatoire, il me faut mainte fois analyser et marier les pièces confuses d’une même âme écartelée.

 

Ainsi, moyennant la transcription de la substance par le miroir du mode, tel infini parvient à se définir en du fini, l’abstraction daignant se formuler par des linéaments, se préciser par un squelette, se presque idéoplasticiser : linéaments, squelette, argile dont l’hypothèse est dans mes sens et la réalité dans ma foi.

Certes l’entière morphe n’est aucunement organisée là, mais, indiqué l’air qu’icelle déplaçait ou déplacera, j’ai pu du moins, la circonscrivant, l’évaluer, l’individualiser — si bien ! que serait, un moindre davantage, superflu.

Cette intuition du déplacement d’air m’induit, mensuration faite des psychés absentes, à une relative sculpture de l’Absolu.

 

Une Absence pareille, qu’est-ce autre chose en vérité que la preuve de la Présence ?

 

Sitôt sur la piste d’une forme intrigante, philosophe en un bal d’essences, je traque la métaphysique à travers la nature, bondissant après sa science, comme un lion des sables à la recherche d’une fraîche poche de chameau.

 

Passants qui ce soir me voyez le corps ivre de lassitude regagner mon logis, ne riez point !

J’ai tant couru depuis l’aurore !

À la première heure, parmi la prairie, j’avais cru ressentir en une lame de brise la silhouette de l’Infidèle — morte depuis ! Sur ma gorge et mes bras nus n’étaient-ce pas, frôlante, la signature de son indéniable voisinage et l’insinuation de son poids en miniature des nuits d’amour ?

Dans la jungle de nos lignes familières dominent celles de l’Aimée.

J’allais étreindre Marcelle, mais la brise est perfide...

Aussi me fallut-il vagabonder, guidé par le seul Ange de la Miséricorde.

La nappe d’air à laquelle participait Marcelle s’étant engouffrée dans un val, heureusement, la désirée lame vint s’échouer sur un tas de cendres jetées là par quelque ménagère.

Encore que houspillée par les genêts du hasard, l’épave était reconnaissable. On eût dit que l’ancienne statue de vie, réalisée par l’effort d’être de l’âme en peine, s’était vautrée sur l’impressionnable écueil, y laissant comme les deux concavités de son moule. Je ne pouvais me tromper : voici les nids de sa tête, de ses cuisses, de ses mollets, de ses talons ; voilà les reliefs à rebours de ses orteils, de ses genoux, de son ventre, de ses seins, de son visage !

Mes jambes fléchirent.

Mon cœur allait baiser le sceau du Passé, lorsque la brise, prise d’une soudaine panique, souleva les cendres en tourbillons...

Je fus vêtu de gris !

 

Un chasseur de papillons me prit pour un spectre et se signa.

Quelques heures après, longeant l’Étang de la Fatalité, j’ai vu les pouces du vent modeler une forme dans l’eau. Comme je me penchais vers l’énigme, un Cygne moribond chanta :

— « C’est l’Apparence à venir d’une femme qui naîtra demain. »

Un roseau siffla :

— « Sera très belle cette femme et tu l’adoreras. »

C’est pourquoi, passants, vous me voyez marcher les yeux en dedans : je songe à celle qui naîtra demain, à l’idole tardive qu’encensera ma vieillesse et qui ridiculisera mes cheveux blancs.


Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Соppéе : Αllоns, pоètе, il fаut еn prеndrе tоn pаrti !

Vоiturе : «Sоus un hаbit dе flеurs, lа Νуmphе quе ј’аdоrе...»

Соppéе : Lе Fils dе Lоuis XΙ

Hugо : «Jеunеs gеns, prеnеz gаrdе аuх сhоsеs quе vоus ditеs...»

Сhаrlу : Dеrniеr sоnnеt

Vаlléе dеs Βаrrеаuх : «Grаnd Diеu, tеs јugеmеnts sоnt rеmplis d’équité...»

Vеrlаinе : Vеrs dоrés

Ρоzzi : Νух

Ο’Νеddу : Μаdоnnа соl bаmbinо

☆ ☆ ☆ ☆

Μussеt : Μimi Ρinsоn

Rimbаud : Lеs Ρоètеs dе sеpt аns

Vеrlаinе : «Εt ј’аi rеvu l’еnfаnt uniquе : il m’а sеmblé...»

Соppéе : Αu théâtrе

Соppéе : Lе Саbаrеt

Νоаillеs : Lа Νоstаlgiе

Μеуrеt : «Μоn bоnhеur durа quinzе јоurs à pеinе...»

Vеrmеrsсh : Соurbеt

Αpоllinаirе : Lе Rеpаs

Соppéе : Unе sаintе

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Vоуаnt сеs mоnts dе vuе аinsi lоintаinе...» (Sаint-Gеlаis)

De Сосhоnfuсius sur Lе Vаl hаrmоniеuх (Hеrоld)

De Сосhоnfuсius sur Sur l’оrаisоn, l’аgоniе, еt lа suеur dе sаng dе Jésus-Сhrist (Sеlvе)

De GΟUUΑUX sur «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...» (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De Jаdis sur Lе Сhаt (Rоllinаt)

De Rоzès sur Répétitiоn (Vаuсаirе)

De Jаdis sur Lеs Αngéliquеs (Νеlligаn)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Jаdis sur Épitаphе d’un сhiеn (Μаllеvillе)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

De Сurаrе- sur «С’еst оrеs, mоn Vinеus, mоn сhеr Vinеus, с’еst оrе...» (Du Βеllау)

De Wеbmаstеr sur Lа Ρеtitе Ruе silеnсiеusе (Fоrt)

De Dаmе dе flаmmе sur «Τоi qui trоublеs lа pаiх dеs nоnсhаlаntеs еаuх...» (Βеrnаrd)

De Xi’аn sur Μirlitоn (Соrbièrе)

De Xi’аn sur «Αimеz-vоus l’оdеur viеillе...» (Μilоsz)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе