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Saint-Pol-RouxDe la colombe au corbeau par le paon, 1904 ![]()
Aux jolies filles de Montmartre.
Maigre et maigre et davantage maigre encore, elle gambade, la pécore, elle gambade sur la Butte avec des cornes à la façon de Belzébuth, elle gambade et rue des boulevards extérieurs au Sacré-Cœur, paissant au hasard de la rue clous, crottins et boutons, timbres et bouts de cigare, culs de bouteilles et débris de chignons, tessons de porcelaine et cordes de guitare, longues baleines de corsets et bribes d’articles de l’oncle Sarcey.
Elle naquit dedans une poubelle, un cru matin de bise où l’hiver grelottait en chemise, dedans une poubelle elle naquit du gras baiser que s’y donnèrent le crachat d’un usurier et la verrue d’un vieux notaire, un cru matin de bise où l’hiver grelotta en chemise, elle naquit dedans une poubelle.
D’abord on s’écria : « C’est un chameau ! peut-être un dromadaire à la tête de veau ! » Et de l’ouest et du nord au midi, bientôt c’est la question qu’un chacun étudie. Chicago braque ses téléscopes, Montmartre ses microscopes. Est-ce Pégase ? Rossinante ? ou le hihan de Buridan ? ou quelque épave de l’Apocalypse ? ou le grand prix de cette année ? ou l’alezan de Montjarret ? ou la bourrique de Francisque ? Et là-dessus, tout l’univers soupire, tire la langue et sue, tel un fromage de Hollande qui serait le crâne de Shakespeare, — lorsque s’avance un savantasse en us opinant à travers le vert de ses deux verres : « Ce n’est pas, que je sache, une bête vulgaire ; néanmoins, plus je la considère par son trou d’anus et plus s’annonce une vache ordinaire entre toutes les vaches, mais une vache en vérité qui, pour avoir la graisse en moins, n’en a pas moins la rage en plus ! »
Depuis, maigre et maigre et davantage maigre encore, elle gambade, la pécore, elle gambade sur la Butte avec des cornes à la façon de Belzébuth, elle gambade et rue des boulevards extérieurs au Sacré-Cœur, paissant au hasard de la rue clous, crottins et boutons, timbres et bouts de cigare, culs de bouteilles et débris de chignons, tessons de porcelaine de l’oncle Sarcey.
Plate en bedaine mêmement qu’une morue de grand carême, elle a le front pareil au front d’un huissier marié ; sa queue c’est une ficelle avec un peu d’étoupe en houppe au bout ; ses côtes deux rangées d’invalides semelles ; ses mamelles des tétons de vieille maquerelle, et quand beugle la bête on se figurerait que pète un gros propriétaire du quartier Marbeuf.
Mince ! oh ! si mince que sa forme à la longue échappe aux prunelles du monde ! sorte de monstre aux lignes ravagées, cette Vache enragée qu’un soir j’ai rencontrée venant à l’urinoir qui lui sert d’abreuvoir, car, ce fantôme, pour le voir, il faut avoir les yeux qui savent voir, ainsi qu’en ont ceux-là qui vont en longs cheveux, longs cheveux en rafale, bons poètes à qui sont saisissables les Idées pures comme aussi les Idées sales, nymphes de Dieu, putains du Diable.
Maigre et maigre et davantage maigre encore, elle gambade, la pécore, elle gambade sur la Butte avec des cornes à la façon de Belzébuth, elle gambade et rue des boulevards extérieurs au Sacré-Cœur, paissant au hasard de la rue clous, crottins et boutons, timbres et bouts de cigare, culs de bouteilles et débris de chignons, tessons de porcelaine et cordes de guitare, longues baleines de corsets et bribes d’articles de l’oncle Sarcey.
Ô Vache symbolique, ils te connaissent bien les pâles gueux aux longs cheveux mélancoliques, chercheurs d’absolu dont la bourse n’est plus qu’une immense punaise ! ils te connaissent bien, synthèse des souffrances de la terre dure, ô somme de tortures et de désespérances ! ils te connaissent bien, poche de fiel et de poison, outre de lies et de folies, bâche de lâchetés, couffe de trahisons, sacoche de remords et sac de cauchemars, cornemuse d’injures de la foule ignoble, ô goule, ils te connaissent bien ceux-là qui n’ont sous le soleil et sous la lune que les nichons de leur mignonne pour fortune ! ils te connaissent bien, hôtesse des jours noirs, et visiteuse des nuits blanches, Vache des vendredis, et Vache des dimanches, Vache d’été, Vache d’hiver, Vache du jamais sourire et du toujours souffrir, Vache d’enfer et du dernier soupir ! Car tu sais où s’alarment les âmes en peine des chambres sans pain, dont quatre à quatre si souvent tu grimpes les marches qui grincent pour t’aller mirer de janvier à décembre en l’infini de la Souffrance Humaine — puisqu’un poète, quand il souffre, c’est en somme qu’ensemble tous les hommes souffrent ! Ô ces mansardes où, semblable à quelque chèvre fantastique au bord d’un gouffre, d’un gouffre sans fin, tu danses ta macabre danse autour des lèvres du rêveur creusé par les lugubres taupes de la faim !
Et c’est alors que la mâchoire, diadème d’ivoire sur le génie blême de par l’agonie, et c’est alors que la mâchoire du poète pauvre saute sur ta peau, ta peau d’ignominie, mordant à pleines dents ta vision, Vache d’illusion, et mâche l’hypothèse coriace de tes flancs dont les sinistres sang et lait d’absence (ô festin d’ironie !) descendent répandre en le convive une rage où naufrage la vie : rage des poings tordus vers la Beauté perdue, rage des orgueils brisés par les tragiques vents de catastrophe aux quatre écueils de l’Épouvante, rage des hauts aigles vaincus et des lions martyrisés et des géants cloués par le néant sur le gibet de tes lois ridicules, ô Vache, — ô Société ! — rage dont le fort de corps et d’âme sort (quand il en sort !) avec la palme de la Gloire, le faible avec la mort et le mépris de la Mémoire !
Maigre et maigre et davantage maigre encore elle gambade, la pécore, elle gambade sur la Butte avec des cornes à la façon de Belzébuth, elle gambade et rue des boulevards extérieurs au Sacré-Cœur, paissant au hasard de la rue clous, crottins et boutons, timbres et bouts de cigare, culs de bouteilles et débris de chignons, tessons de porcelaine et cordes de guitare, longues baleines de corsets et bribes d’articles de l’oncle Sarcey.
Montmartre, 1897.
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