Albert Samain

Au jardin de l’infante, 1893


Tsilla


 
C’était aux temps premiers où les brûlants archanges,
Qui volent d’astre en astre, un glaive d’or en main,
S’arrêtaient quelquefois pour s’unir en chemin
Aux filles de la terre en des noces étranges.
 
En ce temps-là vivait, puissant en sa fortune,
Sem-Nacor, et sa fille avait pour nom Tsilla ;
Et jamais nulle femme au monde n’égala
Ses cheveux ténébreux comme une nuit sans lune.
 
Or, un soir que Tsilla venait à la fontaine,
Sa cruche sur l’épaule, en un pas bien rythmé,
Elle vit, seul au bord d’un sentier parfumé,
Un étranger vêtu d’une grâce hautaine.
 
Sa bouche avait l’éclat de la grenade vive,
Et ses yeux regardaient avec tant de douceur
Que, ce soir-là, Tsilla, dont Naïm fut la sœur,
Revint de la fontaine à pas très lents, pensive.
 
Le lendemain, au jour tombant, comme la veille,
Un grand lys à la main, l’étranger était là ;
Quand la vierge apparut, il sourit, et Tsilla,
Rose, s’épanouit comme une fleur vermeille.
 
Ils causèrent ; leurs voix chantaient, mélancoliques ;
La lune découpait leurs ombres à leurs pieds ;
Et vers eux les chameaux tournaient, agenouillés,
La limpide douceur de leurs grands yeux obliques.
 
Et puis, un soir, à l’heure où le croissant émerge,
Dans l’ombre, au bruit lointain des chariots rentrant,
Tsilla, sous le frisson d’un palmier odorant,
Fit devant l’inconnu tomber sa robe vierge.
 
Ainsi devant le ciel Tsilla, fille d’un homme,
Connut, ayant quinze ans, Phaëlim, fils de Dieu ;
Et ceci se passait près d’Hesbon, au milieu
Du pays qui s’étend de Galad à Sodome.
 
Ils s’aimaient ; à travers leurs candides prunelles
Passait la grande extase où toute l’âme fond ;
L’infini se mirait dans leur amour profond,
Et leurs baisers chantaient par les nuits solennelles !
 
Dans le cœur de Tsilla brûlaient d’ardentes fièvres ;
Étreignant Phaëlim en ses bras langoureux,
Elle versait sur lui la nuit de ses cheveux
Et, des heures, buvait, immobile, à ses lèvres.
 
Parfois l’ange tendait l’aile comme une voile
Et fixant un point d’or dans l’azur enfoui
Les amants y jetaient leur amour ébloui,
Et montaient, frissonnants, s’aimer dans une étoile.
 
Or, un soir, Tsilla dit d’une voix de prière
À Phaëlim : « Montons jusqu’au Soleil, veux-tu ? »
Et l’ange poursuivit son essor éperdu
Dans un ruissellement splendide de lumière.
 
Vol sublime ! À leurs yeux le feu bouillonnait, ivre ;
L’or s’écroulait sur l’or à flots précipités
Dans une cataracte énorme de clartés.
Et Tsilla regardait, pâle, le Soleil vivre...
 
Quand elle regagna la terre obscure encore,
Son passage à travers le sombre firmament
Derrière elle allumait tant d’éblouissement
Qu’au fond des bois courut le frisson de l’aurore ;
 
Car le soleil avait, au baiser de ses flammes,
Changé ses noirs cheveux en un grand fleuve d’or ;
Et c’est pourquoi Tsilla, fille de Sem-Nacor,
Fut blonde, la première, entre toutes les femmes.
 

Décembre 1887.

Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 7 juin 2023 à 11h44

Une voile
--------

La belle nef porte un archange,
La barre est en de fermes mains ;
Sur son invisible chemin
Surgissent des récifs étranges.

Intangible est le pain qu’il mange,
Meilleur que celui des humains ;
Sur son atlas en parchemin
Les lignes et les formes changent.

Le vin qu’il boit te rendrait ivre,
Mais lui, ça l’aide juste à vivre ;
Il a déjà franchi sa mort.

Il s’endort sur un lit de flammes
Et rêve d’une voix de femme
Qui chante pour lui, pas trop fort.

[Lien vers ce commentaire]

Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Lеvеу : Jаpоn — Νаgаsаki

Lеvеу : Сôtе d’Αzur — Νiсе

Hugо

Ρéguу : L’Αvеuglе

Rоllinаt : Rоndеаu du guillоtiné

Αuvrау : À unе lаidе аmоurеusе dе l’аutеur

Gоudеzki : Sоnnеt d’Αrt Vеrt

Sullу Ρrudhоmmе : Lеs Yеuх

Rimbаud : Lеs Εffаrés

Αrnаult : Lа Fеuillе

☆ ☆ ☆ ☆

Rоllinаt : L’Αmаntе mасаbrе

Vеrlаinе : «Sаintе Τhérèsе vеut quе lа Ρаuvrеté sоit...»

Rimbаud : Αlсhimiе du vеrbе

Hуspа : Lеs Éléphаnts

Lоrrаin : Débutаnt

Lе Fèvrе dе Lа Βоdеriе : «Diеu qui еst Un еn Τrоis, pаr pоids, nоmbrе, еt mеsurе...»

Hеrеdiа : Lе Ρrisоnniеr

Sаint-Αmаnt : «Αssis sur un fаgоt, unе pipе à lа mаin...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Lа vоiх qui rеtеntit dе l’un à l’аutrе Ρôlе...» (Gоmbаud)

De Jаdis sur Саuсhеmаr (Lаfоrguе)

De Сосhоnfuсius sur À lа mémоirе d’unе сhаttе nаinе quе ј’аvаis (Lаfоrguе)

De Jаdis sur «Sаintе Τhérèsе vеut quе lа Ρаuvrеté sоit...» (Vеrlаinе)

De Сосhоnfuсius sur «Νе vоisе аu bаl, qui n’аimеrа lа dаnsе...» (Ρibrас)

De Jаdis sur Lеs Βоuquins (Jаmmеs)

De Ρоéliсiеr sur «Αmоurs јumеаuх, d’unе flаmmе јumеllе...» (Ρаssеrаt)

De Сurаrе- sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Βеn sur «Μаrgоt, еn vоus pеignаnt, је vоus pinсе sаns rirе...» (Sigоgnе)

De Lеbrun sur «Jе rêvе, tаnt Ρаris m’еst pаrfоis un еnfеr...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сinémа (Siсаud)

De GΟUUΑUX sur «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...» (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De Rоzès sur Répétitiоn (Vаuсаirе)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе