Verhaeren

Les Flamandes


Amours de gars


 

À Maître Camille Lemonnier


 

I


 
Chaque dimanche, ils ont aux lèvres même aveu.
Et d’un ! fait l’amoureux en baisant l’amoureuse.
Et de deux ! Et de trois ! Voyez-les. Dans le bleu
De l’étang qui le long du sentier vert se creuse.
Les voici garce et gars, qui passent reflétés.
Elle a, la belle fille, un jupon court tout rouge,
Des mains à doigts rugueux, des bras bien ajustés.
Toute grasse, sa gorge est là, qui s’enfle et bouge,
Les deux seins secoués dans le corsage brun.
Et lui, sachez qu’il est le gars de la commune,
Truellé, maçonné, construit comme pas un,
Qu’il a des poings sonnants s’il n’a pas de fortune.
Bâtard d’un vieux fermier, mort ivrogne, — autrefois
Il peinait chez sa belle, à vingt sous la journée ;
Ils s’adoraient déjà tous deux en tapinois,
Éprouvaient à se voir leur chair aiguillonnée.
Souvent, comme elle était aux foins, il lui parlait,
Lui glissant dans le cou quelque grosse bêtise
Avec un bref baiser pour rire — et détalait.
C’était de part et d’autre une égale feintise,
Mêmes timidités à se montrer leur jeu.
Elle pourtant, n’avait au cœur que mariage :
Ils vivraient l’un de l’autre en dépensant fort peu ;
Ils feraient des enfants joufflus, sans alliage ;
Ils auraient métairie avec cour au milieu,
À côté d’un champ d’orge et d’un carré de trèfles ;
Puis un verger, près du logis en contre-bas,
Bariolé de coings, de prunes et de nèfles ;
Deux vaches dans l’étable et de l’or dans un bas.
 
C’était son rêve, un rêve ardent de paysanne,
Qu’un jour, n’y tenant plus, elle lui fit tout haut.
 
 
 

II


 
À les voir si souvent ensemble, l’on cancane,
On les suit, on clabaude, on rit d’un air finaud.
Mais que leur vaut le bruit bête de ces parlotes
S’ils ont la volupté de se sentir à deux ?
Que lui font l’œil mauvais et les cris des bigotes,
Quand au soir descendant, le long du chemin creux,
Il la sent s’allumer de charnelles tendresses,
Qu’il l’étreint contre lui, regarde longuement
Son cou large, où sont faits des coins pour les caresses,
Ses yeux, d’où sort l’ardeur de son embrasement ;
Qu’elle vibre et s’affole et s’offre tout entière,
Que la rage d’aimer l’enflamme, qu’elle veut,
Tant le sang de son cœur lui brûle chaque artère,
Tant hurlent ses désirs et ses instincts en feu,
Ne faire de son corps qu’une table dressée,
Où son gars mangerait et boirait jusqu’au jour,
La bouche gloutonnante et la manche troussée,
Tout un festin de chair, de jeunesse et d’amour !
Et pendant qu’il la chauffe, ils vont par les saulaies,
Par les sentiers moussus, faits pour s’en aller deux,
Ils vont toujours, tirant les feuilles hors des haies,
Les mordant avec fièvre et les jetant loin d’eux.
Il confie en riant ce qui troublait sa tête,
Avant qu’il n’eût espoir certain de l’épouser,
Il se rappelle encor — tout comme elle — la fête
Où de force il plaqua ses lèvres d’un baiser.
Mais c’est elle à présent qui s’en poisse la bouche,
Qui s’en soûle et s’en gave aux godailles d’amour,
Au grand air, sous l’éclat du soleil qui se couche
Et dans le rouge adieu de la nature au jour.
Et d’un commun accord, sans pourtant se rien dire,
Au coude d’un chemin menant droit aux fouillis,
Le cœur battant son plein, le visage en sourire,
Ils cherchent où s’asseoir dans l’épais des taillis.
Et près d’un blond carré d’orge, dans la verdure
Fraîche et mollette encore et gazouilleuse au vent,
Ils dénichent comme au hasard, une encoignure
Faite d’un bois derrière et de buissons devant,
Un coin calme, où bruit seule parmi l’épeautre,
La respiration onduleuse des blés.
Se regardant toujours et s’attirant l’un l’autre,
Ils se sont abattus, haletants et troublés.
Et c’est alors un cri des sens, une fringale,
Un assouvissement de désirs et d’instincts,
Un combat chair à chair de gouge avec son mâle,
Des étreintes de corps à se briser les reins,
Des vautrements si fous que l’herbe en est broyée
Comme après un assaut de vents et de grêlons,
Les buissons cassés net et la terre rayée
D’un grattage lascif de pieds et de talons.
Elle sert de sa chair autant qu’il en demande,
Sans crier, se débattre ou simuler des peurs,
Ne craignant même plus que le village entende
L’explosion d’amour, qui saute de leurs cœurs.
Ils songent aux fureurs échauffantes des bêtes,
Aux printemps allumant l’ardeur dans les troupeaux,
Aux chevaux hennissants, aux vaches toujours prêtes
À se courber au joug amoureux des taureaux.
Et lui, — roi de ce corps pâmé, lui, maître d’elle,
Le choisi, parmi tous, pour mener le déduit,
La voyant dans ses bras frissonner comme une aile
Sent son orgueil de gars puissant monter en lui.
Ses assauts enfiévrés sont comme un choc de rafales,
Traversent la fureur de leurs accouplements,
Ses spasmes ont des cris plus profonds que des râles,
Son rut bondit sur elle avec des jappements,
Il voudrait l’accabler dans une ardeur plénière,
Et lui broyer les sens sous des poids de torpeur,
Et ce débordement de leur lutte dernière
Devient rage à tel point que leur amour fait peur.
 
Après l’ébruitement du scandale au village,
Après de longs refus brutaux, un temps viendra,
Où les parents vaincus voudront le mariage ;
Et l’amant d’aujourd’hui, son gars aimé, sera
Le même qu’on verra venir le jour des noces,
Lui donner l’anneau d’or et conduire à l’autel,
Orné de cierges neufs et de roses précoces,
Ses vingt ans agités du frisson maternel.
 

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