Verhaeren

Les Villages illusoires, 1895


Le Menuisier


 
Le menuisier du vieux savoir
Fait des cercles et des carrés,
Tenacement, pour démontrer
Comment l’âme doit concevoir
Les lois indubitables et fécondes
Qui sont la règle et la clarté du monde.
 
À son enseigne, au coin du bourg, là-bas,
Les branches d’or d’un grand compas
— Comme un blason, sur sa maison —
Semblent deux rais pris au soleil.
 
Le menuisier construit ses appareils
— Tas d’algèbres en des ténèbres —
Avec des mains prestes et nettes
Et des regards, sous ses lunettes,
Aigus et droits, sur son travail
Tout en détails.
 
Ses fenêtres à gros barreaux
Ne voient le ciel que par petits carreaux ;
Et sa boutique, autant que lui,
Est vieille et vit d’ennui.
 
Il est l’homme de l’habitude
Qu’en son cerveau tissa l’étude,
Au long des temps de ses cent ans
Monotones et végétants.
 
Grâce à de pauvres mécaniques
Et des signes talismaniques
Et des cônes de bois et des segments de cuivre
Et le texte d’un pieux livre
Traçant, la croix, par au travers,
Le menuisier dit l’univers.
 
Matin et soir, il a peiné
Les yeux vieillots, l’esprit cerné,
Imaginant des coins et des annexes
Et des ressorts malicieux
À son travail chinoisement complexe,
Où, sur le faîte, il dressa Dieu.
 
Il rabote ses arguments
Et taille en deux toutes répliques
Et ses raisons hyperboliques
Trouent la nuit d’or des firmaments.
 
Il explique, par des sentences,
Le problème des existences
Et discute sur la substance.
 
Il s’éblouit du grand mystère,
Lui donne un nom complémentaire
Et croit avoir instruit la terre.
 
Il est le maître en controverses,
L’esprit humain qu’il bouleverse,
Il l’a coupé en facultés adverses,
Et fourre l’homme qu’il étrique,
À coups de preuves excentriques,
En son système symétrique.
 
Le menuisier a pour voisins
Le curé et le médecin
Qui ramassent, en ses travaux pourtant irréductibles,
Chacun pour soi, des arguments incompatibles.
 
Ses scrupules n’ont rien laissé
D’impossible, qu’il n’ait casé,
D’après un morne rigorisme,
En ses tiroirs de syllogismes.
 
Ses plus graves et assidus clients ?
Les gens branlants, les gens bêlants
Qui achètent leur viatique,
Pour quelques sous, dans sa boutique.
 
Il vit de son enseigne, au coin du bourg,
— Biseaux dorés et compas lourd —
Et n’écoute que l’aigre serinette,
À sa porte, de la sonnette.
 
Il a taillé, limé, sculpté
Une science d’entêté,
Une science de paroisse,
Sans lumière, ni sans angoisse.
 
Si bien qu’au jour qu’il s’en ira
Son appareil se cassera ;
Et ses enfants feront leur jouet,
De cette éternité qu’il avait faite,
À coups d’équerre et de réglette.
 

Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 21 novembre 2012 à 14h51

Le  sommelier du vieux savoir
Fait l’amour dans un lit carré.
Verhaeren lui a démontré
Qu’une fouine doit concevoir,
Lorsqu’un vieux bison la féconde,
Un animal unique au monde.

Cet animal s’est envolé là-bas,
D’un vol dessiné au compas,
Loin du gazon
        et des maisons !
Puis il dévore le soleil.

Le sommelier construit ses appareils
En vertèbres
        de queue de zèbre.
Douze fouines prestes et nettes
Avec le bison à lunettes
Ont supervisé son travail
Dans le détail.

Frappé à grands coups de barreaux
Qui lui explosent les carreaux,
Le bison-fouine, ayant rendu l’astre qui luit,
Va se blottir au fond d’un puits.

Le sommelier a l’habitude
De prendre pour sujet d’étude,
Au ciel de brocante inquiétant,
Le bison-fouine inexistant.

Le bison était mécanique,
La fouine était talismanique.
Leur rejeton est donc en cuivre,
Un fripier illustre le livre
Où c’est expliqué de travers,
Au chapitre sur l’Univers.

Matin et soir, le sommelier,
Picolant avec le fripier,
Dans le grimoire ajoute des annexes,
Et le bison fort malicieux,
À tous deux colle des complexes,
En les interrogeant sur Dieu.

La fouine entend leurs arguments
Et leurs aberrantes répliques.
Ciel de brocante hyperbolique,
Interdis-leur ton firmament !

Ciel de brocante, en trois sentences,
Réduis un peu leurs existences
Et leur méprisable substance.

Le bison-fouine a son mystère,
Ses parents sont complémentaires
Un jour il instruira la Terre.

Il sera Maître en controverses,
C’est bien ce qui me bouleverse.
Levant son chevalet sur les forces adverses,
Il les frappera de sa trique,
C’est ce qui me semble excentrique,
Le grand ciel de brocante est-il donc symétrique ?

Le sommelier a pour voisins
Le jongleur et le puritain,
Deux Clunisiens irréductibles,
Pour qui fouine et bison sont des incompatibles.

Mais moi, je dis qu’il faut laisser
Un bison qui veut se caser
En dehors de tout rigorisme ;

Ne lui ôtons la fouine au nom d’un syllogisme.

Et vous, qu’en pensez-vous, respectables clients ?
Que diriez-vous à ce brave bison bêlant
A qui la fouine offrit un viatique
Qu’on ne vend certes pas dans les boutiques ?

Ils se sont rencontrés au coin du bourg,
La fouine légère et le bison lourd,
Elle lui dit Mon lion et lui Ma serinette,
Dans le murmure des jupettes.

Le sommelier a si bien picolé
Que le bison-fouine à nouveau s’est envolé.
Il provoque dans la paroisse
Un vent d’inconcevable angoisse.

Nous espérons qu’il s’en ira,
Nous attendons le jour où il se cassera.
Nul n’a pour souhait
        « être son jouet »,
Car les hybrides nous embêtent,
Surtout le bison-fouine, une bien sale bête !

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