Verlaine



À mon âge, je sais, il faut rester tranquille,
Dételer, cultiver l’art, peut-être imbécile,
D’être un bourgeois, poète honnête et chaste époux,
À moins que de plonger, sevré de tout dégoût,
Dans la crapule des célibats innomables.
 
Je sais bien, et pourtant je trouve plus aimables
Les femmes et leurs yeux et tout d’elles, depuis
Les pieds fins jusqu’aux noirs cheveux, nuit de mes nuits,
Car les femmes c’est toi désormais pour la vie,
Pour moi, pour mon esprit et pour ma chair ravie :
Ma chair, elle se tend vers toi, pleine d’émoi
Sacré, d’un bel émoi, le feu, la fleur de moi ;
Mon âme, elle fond sur ton âme et s’y fond toute,
Et mon esprit veut ton esprit.
 
                                                              Chérie, écoute
Moi bien : Or je suis vieux ou presque, et Dieu voulut
Te faire de dix ans plus jeune, dans le but
Évident d’être, toi, plausible compagne
De ma misère emmi mes châteaux en Espagne.
 
— Ne me regarde pas de tes petits yeux bruns,
Naguère, moi compris, les bourreaux de d’aucuns. —
 
Châtelaine de qui je ne suis, las ! le page,
Mais le vieil écuyer fidèle et pas trop sage
Grâces à ta bonté qui pleut dans le désert
Parfois, mais le chanteur familier et disert
Rentrant et ressortant par une porte basse,
Le berger de tes gras pâturages qui passe
Pour sorcier, qui sur toi dresse ses yeux matois
Et t’évoque et t’envoûte en son rauque patois,
Le moine confesseur, saint homme par sa robe
Austère, blanche et noire et qui, dit-on, dérobe
Des masses de malice et plus d’un joli tour,
L’archer, enfin, qui veille au créneau de la tour,
Châtelaine de mes domaines de Bohême,
Écoute bien, chérie, écoute bien : je t’aime !
 
— Et dis à tes cheveux de me luire moins noir,
Tes cheveux, pourpre en deuil sur le rouge du soir.
 
Les gens crieront ce qu’ils voudront : « C’est ridicule,
Idiot ! Un barbon ! Où la chair nous accule,
Pourtant ! «Passe encore de bâtir» et caetera ! »
Va, toi ! le monde en vain de moi caquettera,
Je tourne, moi, barbon, toi, plus une ingénue,
D’une amour, comme de printemps, tard survenue
Et d’un élan, aussi, médité, concerné,
Mariant mon déclin à ta maturité.
 
Ô ta maturité plus belle et plus jolie
Que telle adolescence à la taille qui plie
Et que tels vingt-cinq ans, certes, très savoureux,
Mais trop fringants pour faire assez mes sens heureux !
Toi, simple et, par la loi des choses, reposée
Moyennant toutefois parfois une fusée
De franche passion et de goût aux ébats,
Tu sais porter le poids divin de tes appas
Comme un soldat instruit porte à l’aise ses armes,
Et manier avec autorité tes charmes.
 
Et puis, ô ton bon sens, et puis, ô ta gaîté,
Ta raisonnable et fine et sans rien d’apprêté
Gaîté ! Sages conseils souvent épicés d’ire
Plaisamment simulée et finissant en rire.
 
Le Bottin ne saurait nombrer tes agréments.
Ta conversation éclate en mots charmants
Plus naïfs que roués, bien que roués quand même,
Et pour tout dire enfin, excitants à l’extrême
Grâce à ton visage enfantin et grâce à la
Lèvre supérieure en avant que voilà,
Qui boude drôlement sous quel nez qui se moque,
Nez en l’air, nez léger, petit nez qu’un rien choque
Et fronce amusamment, sottise ou male odeur,
Ou parfum excessif, ou propos em...nuyeur.
 
Quelque méchanceté, dame ! il faut qu’on l’avoue,
Te hérisse à son tour — et certes je t’en loue,
Mais j’en souffre — et sur moi, non pas étourdiment,
Mais de propos délibéré, va promenant
Sa herse, tel un laboureur brisant des mottes.
 
— Ô que tes longues mains, n’étant plus des menottes,
Bercent, ne griffent plus mon amour agité. —
 
Mais au fond, bien au fond, cette méchanceté
Même m’est salutaire et bonne, tant je t’aime !
Elle fouette mon sang qui coule plutôt blême
À cause de la maladie et des ennuis,
Elle avertit le casse-cou fou que je suis,
Et, par l’effet de la pure logique, amène
Mon regret, ou plutôt mon remords, à l’amène
Façon que j’ai, des jours de penser et d’agir
Et j’entends ma méchanceté propre rugir
Et rendre malheureux tel ou tel ou telle autre
En dépit de mes airs tout ronds de bon apôtre.
Aussi, malgré les pleurs dont tu rougis mes yeux,
Je proclame à jamais les torts délicieux.
 
Puis, ces défauts, car tu n’en manques point peut-être
Assez, — quelque charmants qu’ils daignent me paraître, — 
Ne sont rien. Tu me plais. Que dis-je, tu m’es Dieu.
Non pas Déesse, tant me brûles d’un feu
Jovial, et tu m’es maître et non plus maîtresse,
Tant ta volonté tonne à travers toute ivresse.
Tes défauts ne sont rien que le miroir des miens.
Capricieuse avec des retours, ô si tiens !
Colère, point jalouse (est-ce taquinerie ?)
Très maussade entre temps, car il faut bien qu’on rie,
Gaie à l’excès, car il faut bien qu’on pleure aussi,
Et le reste... Mais quoi, tu m’es tout, — et merci !
 

Élégies, 1893

Commentaire (s)

Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Rоnsаrd : Dе l’Élесtiоn dе sоn Sépulсrе

Βаudеlаirе : Lеs Ρlаintеs d’un Ιсаrе

Βаnvillе : À Αdоlphе Gаïffе

Du Ρеrrоn : «Αu bоrd tristеmеnt dоuх dеs еаuх...»

Βlаisе Сеndrаrs

Rоnsаrd : Dе l’Élесtiоn dе sоn Sépulсrе

Νuуsеmеnt : «Lе vаutоur аffаmé qui du viеil Ρrоméthéе...»

Lа Сеppèdе : «Сеpеndаnt lе sоlеil fоurnissаnt sа јоurnéе...»

Τоulеt : «Dаns lе silеnсiеuх аutоmnе...»

Μussеt : À Αlf. Τ. : «Qu’il еst dоuх d’êtrе аu mоndе, еt quеl biеn quе lа viе !...»

Vеrlаinе : «Lа mеr еst plus bеllе...»

Jасоb : Lе Dépаrt

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Lе Sаnglоt univеrsеl

Сrоs : Ρituitе

Jаmmеs : Lа sаllе à mаngеr

Régniеr : Lа Lunе јаunе

Rоdеnbасh : «Αllеluiа ! Сlосhеs dе Ρâquеs !...»

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur L’Αbrеuvоir (Αutrаn)

De Сосhоnfuсius sur Lе Grаnd Αrbrе (Μérаt)

De Сосhоnfuсius sur «Jе vоudrаis êtrе аinsi соmmе un Ρеnthéе...» (Gоdаrd)

De Dаmе dе flаmmе sur Vеrlаinе

De Сurаrе- sur Sur l’Hélènе dе Gustаvе Μоrеаu (Lаfоrguе)

De Dаmе dе flаmmе sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Xi’аn sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе