Verlaine

Jadis et Naguère, 1884


Crimen Amoris


À Villiers de l’Isle-Adam

 
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des satans adolescents,
Au son d’une musique mahométane
Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens.
 
C’est la fête aux Sept Péchés : ô qu’elle est belle !
Tous les Désirs rayonnaient en feux brutaux ;
Les Appétits, pages prompts que l’on harcèle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.
 
Des danses sur des rhythmes d’épithalames
Bien doucement se pâmaient en longs sanglots
Et de beaux chœurs de voix d’hommes et de femmes
Se déroulaient, palpitaient comme des flots,
 
Et la bonté qui s’en allait de ces choses
Était puissante et charmante tellement
Que la campagne autour se fleurit de roses
Et que la nuit paraissait en diamant.
 
Or le plus beau d’entre tous ces mauvais anges
Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.
Les bras croisés sur les colliers et les franges,
Il rêve, l’œil plein de flammes et de pleurs.
 
En vain la fête autour se faisait plus folle,
En vain les Satans, ses frères et ses sœurs,
Pour l’arracher au souci qui le désole,
L’encourageaient d’appels de bras caresseurs :
 
Il résistait à toutes câlineries,
Et le chagrin mettait un papillon noir
À son cher front tout brûlant d’orfèvreries.
Ô l’immortel et terrible désespoir !
 
Il leur disait : « Ô vous, laissez-moi tranquille ! »
Puis, les ayant baisés tous bien tendrement,
Il s’évada d’avec eux d’un geste agile,
Leur laissant aux mains des pans de vêtement.
 
Le voyez-vous sur la tour la plus céleste
Du haut palais avec une torche au poing ?
Il la brandit comme un héros fait d’un ceste :
D’en bas on croit que c’est une aube qui point.
 
Qu’est-ce qu’il dit de sa voix profonde et tendre
Qui se marie au claquement clair du feu
Et que la lune est extatique d’entendre ?
« Oh ! je serai celui-là qui créera Dieu !
 
« Nous avons tous trop souffert, anges et hommes,
De ce conflit entre le Pire et le Mieux.
Humilions, misérables que nous sommes,
Tous nos élans dans le plus simple des vœux.
 
« Ô vous tous, ô nous tous, ô les pécheurs tristes,
Ô les gais Saints, pourquoi ce schisme têtu ?
Que n’avons-nous fait, en habiles artistes,
De nos travaux la seule et même vertu !
 
« Assez et trop de ces luttes trop égales !
Il va falloir qu’enfin se rejoignent les
Sept Péchés aux Trois Vertus Théologales !
Assez et trop de ces combats durs et laids !
 
« Et pour réponse à Jésus qui crut bien faire
En maintenant l’équilibre de ce duel,
Par moi l’enfer dont c’est ici le repaire
Se sacrifie à l’Amour universel ! »
 
La torche tombe de sa main éployée,
Et l’incendie alors hurla s’élevant,
Querelle énorme d’aigles rouges noyée
Au remous noir de la fumée et du vent.
 
L’or fond et coule à flots et le marbre éclate ;
C’est un brasier tout splendeur et tout ardeur ;
La soie en courts frissons comme de l’ouate
Vole à flocons tout ardeur et tout splendeur.
 
Et les Satans mourants chantaient dans les flammes,
Ayant compris, comme s’ils étaient résignés !
Et de beaux chœurs de voix d’hommes et de femmes
Montaient parmi l’ouragan des bruits ignés.
 
Et lui, les bras croisés d’une sorte fière,
Les yeux au ciel où le feu monte en léchant,
Il dit tout bas une espèce de prière
Qui va mourir dans l’allégresse du chant.
 
Il dit tout bas une espèce de prière,
Les yeux au ciel où le feu monte en léchant...
Quand retentit un affreux coup de tonnerre,
Et c’est la fin de l’allégresse et du chant.
 
On n’avait pas agréé le sacrifice :
Quelqu’un de fort et de juste assurément
Sans peine avait su démêler la malice
Et l’artifice en un orgueil qui se ment.
 
Et du palais aux cent tours aucun vestige,
Rien ne resta dans ce désastre inouï,
Afin que par le plus effrayant prodige
Ceci ne fût qu’un vain rêve évanoui...
 
Et c’est la nuit, la nuit bleue aux mille étoiles ;
Une campagne évangélique s’étend
Sévère et douce, et, vagues comme des voiles,
Les branches d’arbre ont l’air d’ailes s’agitant.
 
De froids ruisseaux courent sur un lit de pierre ;
Les doux hiboux nagent vaguement dans l’air
Tout embaumé de mystère et de prière ;
Parfois un flot qui saute lance un éclair.
 
La forme molle au loin monte des collines
Comme un amour encore mal défini,
Et le brouillard qui s’essore des ravines
Semble un effort vers quelque but réuni.
 
Et tout cela comme un cœur et comme une âme,
Et comme un verbe, et d’un amour virginal
Adore, s’ouvre en une extase et réclame
Le Dieu clément qui nous gardera du mal.
   

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Αssоuсу : «Ρоurquоi dоnс, Sехе аu tеint dе rоsе...»

Viоn Dаlibrау : «Αimе, si tu lе vеuх, је nе l’еmpêсhе pаs...»

Βоurgеt : Lа Rоmаnсе d’Αriеl

Rоussеаu : Lе Rоssignоl еt lа Grеnоuillе

Αpоllinаirе : Lе Drоmаdаirе

Соignаrd : «Οbsсurе nuit, lаissе tоn nоir mаntеаu...»

Lаfоrguе : Βоufféе dе printеmps

Τоulеt : «Si vivrе еst un dеvоir...»

Ρéguу : Ρrésеntаtiоn dе lа Βеаuсе à Νоtrе-Dаmе dе Сhаrtrеs

☆ ☆ ☆ ☆

Hugо : «Jеunеs gеns, prеnеz gаrdе аuх сhоsеs quе vоus ditеs...»

Τhаlу : L’Îlе lоintаinе

Vеrlаinе : L’Αubеrgе

Vеrlаinе : À Hоrаtiо

Соrnеillе : Sоnnеt : «Dеuх sоnnеts pаrtаgеnt lа villе...»

Fоurеst : Sаrdinеs à l’huilе

Sullу Ρrudhоmmе : Lеs Сhаînеs

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Ô vоus, соmmе un qui bоitе аu lоin, Сhаgrins еt Jоiеs...» (Vеrlаinе)

De Сосhоnfuсius sur «Jе m’étаis rеtiré du pеuplе...» (Jоdеllе)

De Сосhоnfuсius sur Lе Fаunе (Rоуèrе)

De Сurаrе- sur «Τоut n’еst plеin iсi-bаs quе dе vаinе аppаrеnсе...» (Vаlléе dеs Βаrrеаuх)

De Ιоhаnnеs sur Ρrièrе dе соnfidеnсе (Ρéguу)

De Сurаrе- sur Lеs Fеuillеs mоrtеs (Gоurmоnt)

De Lilith sur Vеrlаinе

De Μоntеrrоsо sur Lа Μоuсhе (Αpоllinаirе)

De Jаdis sur Саrоlо Quintо impеrаntе (Hеrеdiа)

De Сurаrе- sur Sоnnеt : «Un livrе n’аurаit pаs suffi...» (Ρrivаt d'Αnglеmоnt)

De Τrуphоn Τоurnеsоl sur À unе mуstériеusе (Rоllinаt)

De Αlbаtrосе sur «Dоuсе plаgе оù nаquit mоn âmе...» (Τоulеt)

De Gеf sur À Μ. Α. Τ. : «Αinsi, mоn сhеr аmi, vоus аllеz dоnс pаrtir !...» (Μussеt)

De Gеf sur Villеs : «Се sоnt dеs villеs !...» (Rimbаud)

De Jаdis sur Τаblеаu (Сrоs)

De Βibоsаurе sur À Αlf. Τ. : «Qu’il еst dоuх d’êtrе аu mоndе, еt quеl biеn quе lа viе !...» (Μussеt)

De Βоurg sur «Lоngtеmps si ј’аi dеmеuré sеul...» (Τоulеt)

De Jаdis sur Épigrаmmе d’аmоur sur sоn nоm (Αubеspinе)

De Ιsis Μusе sur Lа grоssе dаmе сhаntе... (Ρеllеrin)

De Dаmе dе flаmmе sur Сhаnsоn dе lа mélаnсоliе (Fоrt)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе