Théophile de Viau


Élégie


 
Proche de la saison où les plus vives fleurs
Laissent évanouir leur âme et leurs couleurs,
Un amant désolé, mélancolique et sombre,
Jaloux de son chemin, de ses pas, de son ombre,
Baisait aux bords de Loire en flattant son ennui
L’image de Caliste errante avecque lui.
Rêvant auprès du fleuve il disait à son onde :
« Si tu vas dans la Mer qui va par tout le monde,
Fais-la ressouvenir d’apprendre à l’Univers,
Qu’il n’a rien de si beau que l’objet de mes Vers.
Ces fleurs dont le Printemps fait voir tes rives peintes,
Au matin sont en vie, et le soir sont éteintes ;
Mais quelque changement qui te puisse arriver,
Caliste et ses beautés n’auront jamais d’hiver.
Ces humides baisers dont tes rives mouillées
Seront pour quelques jours encore chatouillées,
Arrêteront enfin leur amoureuse erreur,
Et, s’approchant de toi, se gèleront d’horreur.
Alors que tous les flots sont transformés en marbres,
Lorsque les Aquilons vont déchirer les arbres,
Et que l’eau n’ayant plus humidité ni poids
Fait pendre le cristal des roches et des bois,
Que l’onde aplanissant ses orgueilleuses bosses
Souffre sans murmurer le fardeau des carrosses,
Que la neige durcie a pavé les marais,
Confondu les chemins avecque les guérets,
Que l’Hiver renfrogné d’un orgueilleux empire
Empêche les Amours de Flore et de Zéphyre,
Qu’Endymion vaincu du froid et du sommeil
Ne peut tenir parole à la sœur du Soleil,
Qui cependant toujours va visiter sa place
Sur le haut d’un rocher tout hérissé de glace,
Moi, qui d’un sort plus humble ou bien plus glorieux,
Sur les beautés du Ciel n’ai point jeté mes yeux,
Qui n’ai jamais cherché cette bonne fortune
Qu’Endymion trouvait aux beautés de la Lune,
Durant cette saison où leur ardent désir
Ne trouve à son dessein, ni place, ni loisir,
Je verrai ma Caliste après ce long voyage,
Qui plus que cent Hivers m’a fait souffrir d’orage,
Qui m’a plus ruiné que de faire abîmer
Un vaisseau chargé d’or que j’aurais sur la Mer.
Quel outrage plus grand aurait-il pu me faire,
Que me cacher un mois le seul jour qui m’éclaire ?
Dieux, hâtez donc l’Hiver, et lui soyez témoins
Que le Printemps, l’Automne et l’Été valent moins,
Qu’il dépouille les bois, et de sa froide haleine
Perde tout ce que donne et le mont et la plaine,
Ce mois qui maintenant retient cette beauté
A bien plus d’injustice et plus de cruauté ;
Car l’Hiver au plus fort de sa plus rude guerre,
Nous ôte seulement ce que nous rend la terre,
N’emporte que des fruits, n’étouffe que des fleurs,
Et sur notre destin n’étend point ses malheurs,
Où la dure saison qui m’ôte ma Maîtresse
Toutes ses cruautés à ma ruine adresse.
Mon front est plus terni que des lys effacés,
Mon sang est plus gelé que des ruisseaux glacés,
Blois est l’Enfer pour moi, la Loire est le Cocyte,
Je ne suis plus vivant si je ne ressuscite.
Vous qui feignez d’aimer avecque tant de foi,
Trompeurs, vous êtes bien moins amoureux que moi,
Courtisans, qui partout ne servez que de nombre,
Qui n’aimez que le vent, qui ne suivez que l’ombre,
Qui traînez sans plaisir vos jours mal assurés,
Pendant chez la Fortune à des liens dorés,
Vous savez mal que c’est des véritables peines
Que donne un feu subtil qui fait brûler les veines,
Esclaves insensés des pompes de la Cour,
Vous savez mal que c’est d’un véritable Amour :
Infidèle Alidor, tu feins d’aimer Sylvie,
Mais tu perds son objet, et ne perds point la vie ;
Tu chasses tout le jour, tu dors toute la nuit,
Et tu dis que partout son image te suit,
Qu’elle est profondément empreinte en ta pensée,
Et que ton âme en est mortellement blessée.
Ô toi qui ma Caliste aujourdhui me ravis,
Qui vois ce que je sens, qui sais comme je vis,
Malicieux destin qui me sépares d’elle,
Tu répondras pour moi si je lui suis fidèle,
Si depuis son départ j’eus un mauvais dessein,
Si je n’ai toujours eu des serpents dans le sein ;
Tout ce que fait Damon pour divertir ma peine,
Toute sa bonne chère est importune et vaine.
Je suis honteux de voir qu’il faille ingratement
Faire mauvaise mine à son bon traitement,
Que je ne puisse en rien déguiser ma tristesse
Quoiqu’à me divertir son amitié me presse.
Aussitôt que je puis me dérober de lui,
Que je trouve un endroit commode à mon ennui,
Afin de digérer plutôt mon amertume,
Je la fais par mes vers distiller à ma plume.
Parfois lorsque je pense écrire mon tourment,
Je passe tout le jour à rêver seulement,
Et dessus mon papier laissant errer mon âme,
Je peins cent fois mon nom, et celui de ma Dame ;
De penser en penser confusément tiré,
Suivant le mouvement de mon sens égaré ;
Si j’arrête mes yeux sur nos noms que je trace,
Quelque goutte de pleurs m’échappe, et les efface,
Et sans que mon travail puisse changer d’objet,
Mille fois sans dessein je change de projet ;
Toute cette beauté, dans mes sens ramassée,
Tantôt ses doux regards présente à ma pensée,
Quelquefois son beau teint, et m’offre quelquefois
Les œillets de sa lèvre, et l’accent de sa voix ;
Tantôt son bel esprit d’une superbe Image
Tout seul de mes écrits veut recevoir l’hommage.
Confus je me retire, et songe qu’il vaut mieux
Consoler autrement et mon âme et mes yeux ;
Je m’en vais dans les champs, pour voir s’il est possible
Qu’un bienheureux hasard me la rendît visible,
Je m’en vais sur les bords de ces publiques eaux,
Dont le dos nuit et jour est chargé de bateaux,
Et tout ce que je vois descendre sur la rive
Me fait imaginer que ma Caliste arrive.
Bref contre tout espoir mon œil n’est jamais las
De travailler en vain à chercher du soulas ;
Quoique le temps prescrit à cette longue absence
Pour tout ce que je fais d’un seul point ne s’avance,
Je veux persuader à mon ardent Amour
Qu’il voit à tout moment l’heure de son retour. »
Ainsi dit Mélibée, et pâle, et las, et triste,
Acheva sa journée en adorant Caliste.
 

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