Vincent Voiture



Belise, je sais bien que le Ciel favorable
A joint à vos beautés un esprit adorable,
Qui ne pouvait loger au monde dignement
Que dans un si beau corps ou dans le firmament.
Je sais que la Nature et les dieux avec elle
Ne font plus rien de beau que sur votre modèle,
Et qu’ils se prisent moins d’avoir bâti les cieux,
Que d’avoir achevé l’ouvrage de vos yeux :
Car, enfin je l’avoue, et dedans ma colère,
Malgré moi je le dis, sans dessein de vous plaire :
Le soleil qui voit tout, dessus et dessous l’air,
Ne voit point de beauté, qui vous puisse égaler,
Et n’en verra jamais, quoiqu’il tourne le monde,
Et que souvent soi-même il se mire dans l’onde.
L’amour n’a rien de beau, d’attrayant, ni de doux,
Point de traits, ni de feux, qu’il n’emprunte de vous.
Vos charmes dompteraient l’âme la plus farouche ;
Les grâces et les ris parlent par votre bouche,
Et, quoi que vous fassiez, les jeux et les appas
Marchent à votre suite et naissent sous vos pas.
Toutes vos actions méritent qu’on vous aime :
Et mille fois le jour, sans y penser vous-même,
Vos gestes, vos regards, vos ris et vos discours
Font mourir mille amants et naître mille amours.
Mais, dans ce bel amas de grâces sans pareilles,
Ce tableau raccourci de toutes les merveilles,
Je vois beaucoup de manque et d’inégalités
Et d’aussi grands défauts que de grandes beautés.
La Nature amoureuse, en vous mettant au monde,
S’efforça de vous faire ici-bas sans seconde,
Et, prodigue, employa ses plus riches trésors
À vous former les traits de l’esprit et du corps.
Mais, lasse sur la fin d’un si pénible ouvrage,
Elle vous a mal fait l’humeur et le courage.
Ces deux manquent en vous, et ternissent le teint
Des plus vives couleurs dont elle vous a peint.
Ils en ôtent l’éclat, et laissent une tare
Au plus riche ornement dont la terre se pare :
Car avec un défaut si digne de mépris,
Votre beauté s’efface et ravale de prix.
Vos yeux, ni vos attraits n’ont plus rien d’estimable,
Et parmi tant d’amour, vous n’êtes point aimable.
Pardonnez-moi, Bélise, et souffrez doucement,
Que libre désormais je parle franchement.
Cette unique beauté, dont vous êtes ornée,
N’aura jamais pouvoir sur une âme bien née ;
Votre empire est trop rude et ne saurait durer :
Ou s’il s’en trouve encor qui puisse l’endurer,
Avec tant de mépris et tant d’ingratitude,
Ce sont les cœurs mal faits, nés à la servitude,
Ou de mauvais esprits, qui des cieux en courroux
Ont eu pour châtiment d’être amoureux de vous.
De louange et d’honneur vainement affamée,
Vous ne pouvez aimer, et voulez être aimée ;
Et votre cœur altier croit mettre entre les dieux
Ceux qu’il souffre mourir en adorant vos yeux.
Que si quelqu’un, poussé de son mauvais génie,
Tombe dessous le joug de votre tyrannie,
Il faut qu’il se haïsse, et que dès ce moment
Il devienne ennemi de son contentement.
Car vous ne croirez pas, quelque feu qui l’éprenne,
Qu’il ait beaucoup d’amour, s’il n’a beaucoup de peine.
Vous voulez qu’il soit pâle, et que plein de langueur
Il s’afflige sans cesse et se ronge le cœur ;
Que l’ombre d’un soupçon lui donne cent alarmes ;
Que vos moindres dépits le fassent fondre en larmes ;
Qu’il soit hors de propos, défiant et jaloux,
Jamais content de lui, jamais content de vous ;
Qu’il soupire toujours, et vous nomme cruelle :
Lors vous êtes contente, et croyez être belle ;
Et votre cruauté parmi tant de tourments,
Se baigne dans les pleurs que versent vos amants.
Que si parfois d’amour votre âme est allumée,
C’est un feu passager qui se tourne en fumée,
Pareil à ces brandons qui brûlent une nuit,
Errants à la faveur du vent qui les conduit,
Qui luisent pour nous perdre, et si l’on ne s’en garde,
Conduisent à la mort quiconque les regarde.
Vous brûlez de la sorte : et sans savoir comment,
Vos plus chaudes amours ne durent qu’un moment.
Vous ne savez que c’est d’une flamme constante ;
Toute chose vous plaît et rien ne vous contente ;
Et votre esprit flottant entre cent passions,
A beaucoup de desseins, et peu d’affections.
Plus léger que le vent qui porte les tempêtes,
Il change tous les jours de nouvelles conquêtes ;
Et n’estimant jamais ce qu’il peut posséder,
Il gagne toute chose et ne peut rien garder :
Car votre vaine humeur, après une victoire,
En méprise le fruit et n’en veut que la gloire,
Et de tant d’amitiés faites diversement,
N’en aime que la fin et le commencement.
D’un amant qui vous vient, vous aimez les approches ;
D’un autre qui s’en va, les cris et les reproches.
La nouveauté vous plaît, et ne se passe jour,
Que vous ne fassiez naître ou mourir quelque amour.
Vous êtes sans arrêt, faible, vaine et légère,
Inconstante, bizarre, ingrate et mensongère,
Pleine de trahisons, sans âme et sans pitié,
Capable de tout faire, hormis une amitié.
Celle que vous m’aviez par tant de fois jurée,
Qui devait surpasser les siècles en durée
Et ne se démentir qu’avec le firmament,
Si belle et si parfaite en son commencement,
Et dont la belle flamme, ici-bas sans seconde,
Devait durer encore après celle du monde,
À la fin s’est éteinte ; et, contre votre foi,
Vous en favorisez un moins digne que moi.
Regardez-vous, Bélise, et parmi tant de grâces,
Ne souffrez plus en vous des qualités si basses,
Et sur tant de vertus et de perfections,
Relevez votre cœur et vos affections.
Ne laissez rien en vous capable de déplaire :
Faites-vous toute belle, et tâchez de parfaire
L’ouvrage que les dieux ont si fort avancé,
Et vous seule achevez ce qu’ils ont commencé.
 

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