Les nymphes, par les siècles vieux,
Hantant les solitaires lieux,
Ont méprisé des plus hauts dieux
La longue et importune envie ;
Je veux ainsi passer ma vie.
 
Diane, avec ses chastes sœurs,
Au bois sentait mille douceurs,
Et des satyres pourchasseurs
Ne voulut onc être servie :
Je veux ainsi passer ma vie.
 
Les Filles de Mémoire aussi
En un troupeau vivaient ainsi,
Et jamais d’un tyran souci
Leur liberté ne fut ravie ;
Je veux ainsi passer ma vie.
 
Les vierges qui d’un chaste vœu
Nourrissaient un éternel feu,
Ne se liaient d’un triste nœud
Qui rend la franchise asservie :
Je veux ainsi passer ma vie.
 
Les nonnains en communauté,
Gardent longuement leur beauté,
Et, d’une douce privauté,
L’une de l’autre est asservie :
Je veux passer ainsi ma vie.
 
Pour néant, le dieu Cupidon
M’échaufferait de son brandon
Quand un Narcisse ou un Adon
Mille fois m’auraient poursuivie :
Je veux passer ainsi ma vie.
 
Ô heureuses celles qui ont
La chasteté dessus le front !
Leurs beautés immortelles sont,
Et leur printemps ne s’abbrévie :
Je veux ainsi passer ma vie.
 
Amour peut bien en autre part
Décocher son furieux dard ;
L’honneur nous a fait un rempart
Contre sa fière tyrannie :
Je veux ainsi passer ma vie.
 
Désormais les hommes moqueurs
Ne se diront plus les vainqueurs
Du rocher de nos tristes cœurs,
Si leur vertu ne nous convie :
Je veux ainsi passer ma vie.