Hugo

Les Contemplations (I), 1856


             
XXIX
Halte en marchant


 
Une brume couvrait l’horizon ; maintenant,
Voici le clair midi qui surgit rayonnant ;
Le brouillard se dissout en perles sur les branches,
Et brille, diamant, au collier des pervenches.
Le vent souffle à travers les arbres, sur les toits
Du hameau noir cachant ses chaumes dans les bois ;
Et l’on voit tressaillir, épars dans les ramées,
Le vague arrachement des tremblantes fumées ;
Un ruisseau court dans l’herbe, entre deux hauts talus,
Sous l’agitation des saules chevelus ;
Un orme, un hêtre, anciens du vallon, arbres frères
Qui se donnent la main des deux rives contraires,
Semblent, sous le ciel bleu, dire : À la bonne foi !
L’oiseau chante son chant plein d’amour et d’effroi,
Et du frémissement des feuilles et des ailes ;
L’étang luit sous le vol des vertes demoiselles.
Un bouge est là, montrant, dans la sauge et le thym,
Un vieux saint souriant parmi des brocs d’étain,
Avec tant de rayons et de fleurs sur la berge,
Que c’est peut-être un temple ou peut-être une auberge.
Que notre bouche ait soif, ou que ce soit le cœur,
Gloire au Dieu bon qui tend la coupe au voyageur !
Nous entrons. « Qu’avez-vous ? — Des œufs frais, de l’eau fraîche. »
On croit voir l’humble toit effondré d’une crèche.
À la source du pré, qu’abrite un vert rideau,
Une enfant blonde alla remplir sa jarre d’eau,
Joyeuse et soulevant son jupon de futaine.
Pendant qu’elle plongeait sa cruche à la fontaine,
L’eau semblait admirer, gazouillant doucement,
Cette belle petite aux yeux de firmament.
 
Et moi, près du grand lit drapé de vieilles serges,
Pensif, je regardais un Christ battu de verges.
 
Eh ! qu’importe l’outrage aux martyrs éclatants,
Affront de tous les lieux, crachat de tous les temps,
Vaine clameur d’aveugle, éternelle huée
Où la foule toujours s’est follement ruée !
 
Plus tard, le vagabond flagellé devient Dieu.
Ce front noir et saignant semble fait de ciel bleu,
Et, dans l’ombre, éclairant palais, temple, masure,
Le crucifix blanchit et Jésus-Christ s’azure.
La foule un jour suivra vos pas ; allez, saignez,
Souffrez, penseurs, des pleurs de vos bourreaux baignés !
Le deuil sacre les saints, les sages, les génies ;
La tremblante auréole éclôt aux gémonies,
Et, sur ce vil marais, flotte, lueur du ciel,
Du cloaque de sang feu follet éternel.
Toujours au même but le même sort ramène :
Il est, au plus profond de notre histoire humaine,
Une sorte de gouffre, où viennent, tour à tour,
Tomber tous ceux qui sont de la vie et du jour,
Les bons, les purs, les grands, les divins, les célèbres,
Flambeaux échevelés au souffle des ténèbres ;
Là se sont engloutis les Dantes disparus,
Socrate, Scipion, Milton, Thomas Morus,
Eschyle, ayant aux mains des palmes frissonnantes.
Nuit d’où l’on voit sortir leurs mémoires planantes !
Car ils ne sont complets qu’après qu’ils sont déchus.
De l’exil d’Aristide au bûcher de Jean Huss,
Le genre humain pensif — c’est ainsi que nous sommes —
Rêve ébloui devant l’abîme des grands hommes.
Ils sont, telle est la loi des hauts destins penchant,
Tes semblables, soleil ! leur gloire est leur couchant ;
Et, fier Niagara dont le flot gronde et lutte,
Tes pareils : ce qu’ils ont de plus beau, c’est leur chute.
 
Un de ceux qui liaient Jésus-Christ au poteau,
Et qui, sur son dos nu, jetaient un vil manteau,
Arracha de ce front tranquille une poignée
De cheveux qu’inondait la sueur résignée,
Et dit : « Je vais montrer à Caïphe cela ! »
Et, crispant son poing noir, cet homme s’en alla.
La nuit était venue et la rue était sombre ;
L’homme marchait ; soudain, il s’arrêta dans l’ombre,
Stupéfait, pâle, et comme en proie aux visions,
Frémissant ! — Il avait dans la main des rayons.
 

Forêt de Compiègne, juin 1837.

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Νаvаrrе : «Μоn sеul Sаuvеur, quе vоus pоurrаis-је dirе...»

Ρаul Νаpоléоn Rоinаrd

Vоltаirе : «Si vоus vоulеz quе ј’аimе еnсоrе...»

Τоulеt : Sоuffrаnсе

Glаtignу : Βаllаdе dеs Εnfаnts sаns sоuсi

Lоuÿs : Lе Τоmbеаu d’unе јеunе соurtisаnе

Vеrlаinе : Sur lе Саlvаirе

Vеrlаinе : Βruхеllеs — Сhеvаuх dе bоis

Νоаillеs : Οffrаndе

Sсаrrоn : Épitаphе

☆ ☆ ☆ ☆

Glаtignу : Ρаrtiе dе саmpаgnе

Μаllаrmé : «Ρаrсе quе dе lа viаndе...»

Hеrvillу : À lа Lоusiаnе

Vеrlаinе : Βаllаdе еn l’hоnnеur dе Lоuisе Μiсhеl

Jаmmеs : Jе pаrlе dе Diеu

Vеrlаinе : L’Αubеrgе

Соppéе : «Lе Grаnd-Μоntrоugе еst lоin, еt lе dur сhаrrеtiеr...»

Rimbаud : «L’еnfаnt qui rаmаssа lеs bаllеs...»

Ρrivаt d’Αnglеmоnt : «Соmbiеn durеrоnt nоs аmоurs ?...»

Vеrlаinе : Lеs Lоups

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Lе viеil prоvеrbе dit quе du mоinе еt du prêtrе...» (Sаblе)

De Сосhоnfuсius sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Сосhоnfuсius sur Εl Dеsdiсhаdо (Νеrvаl)

De Guillеmеttе. sur «Lе bеаu Ρrintеmps n’а pоint tаnt dе fеuillаgеs vеrts...» (Lа Сеppèdе)

De Guillаumе sur Αbаndоnnéе (Lоrrаin)

De Lа Μusérаntе sur Hоmmаgе : «Lе silеnсе déјà funèbrе d’unе mоirе...» (Μаllаrmé)

De Сurаrе- sur Αdiеuх à lа pоésiе (Gаutiеr)

De Сurаrе- sur «J’еntrеvоуаis sоus un vêtеmеnt nоir...» (Μаgnу)

De Сurаrе- sur «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...» (Sigоgnе)

De Jаdis sur «Viсtоriеusеmеnt fui lе suiсidе bеаu...» (Μаllаrmé)

De Gеоrgеs Lеmаîtrе sur «Lе sоir, аu соin du fеu, ј’аi pеnsé biеn dеs fоis...» (Соppéе)

De Jаdis sur Lе Vœu suprêmе (Lесоntе dе Lislе)

De Jаdis sur Sоnnеt d’Αutоmnе (Βаudеlаirе)

De Сhristiаn sur «J’еntrаis сhеz lе mаrсhаnd dе mеublеs, еt là, tristе...» (Νоuvеаu)

De Ρépé Hаsh sur «Сеpеndаnt qu’аu pаlаis dе prосès tu dеvisеs...» (Du Βеllау)

De Сurаrе_ sur Sоnnеt : «Quаnd је rеpоsеrаi dаns lа fоssе, trаnquillе...» (Gоudеаu)

De Vinсеnt sur Τоmbеаu du Ρоètе (Dеubеl)

De Xi’аn sur «Μоn âmе pаisiblе étаit pаrеillе аutrеfоis...» (Τоulеt)

De Сhristiаn sur Соntrе Ligurinus : «Τоut lе mоndе tе fuit...» (Dubоs)

De Vinсеnt sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Xi’аn sur Lе Суgnе (Rеnаrd)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе